Mark Jordan : L'invention de la sodomie dans la théologie médiévale
Durant des siècles, rien ne laisse entendre que les Sodomites se livrent à la sodomie : ils sont « arrogants », manquent aux « devoirs de l’hospitalité », vivent dans la luxuria et la terrible vengeance divine s’abat sur eux. Le terme « Sodomites » ne désigne alors rien d’autre que les habitants de cette ville maudite, en proie aux péchés les plus divers.
Au Xe siècle, le martyre de saint Pelage – jeune éphèbe captif, décapité pour s’être refusé aux pressantes sollicitations d'Abd al-Rahmân III – se trouve monté en épingle pour donner forme narrative à un péché tel qu’il n’a pas encore de nom.
Le substantif « sodomie » n’arrive en effet qu’au XIe siècle, avec Pierre Damien. Dans son Livre de Gomorrhe (écrit autour de 1050), cette invention lexicale désigne une kyrielle de péchés innommables qui tous, gaspillant la semence mâle, vont « contre nature ». Le mot était introduit et le concept en voie de construction.
Lecteur de Pierre Damien, Alain de Lille, Albert le Grand, Thomas d’Aquin, Mark D. Jordan retrace ici l’histoire des incohérences, inconsistances et paradoxes de la sodomie auxquels aura désormais affaire la doctrine morale chrétienne. Seul péché de chair à être aussi péché contre l’Esprit, il ne peut être rédimé.
Se pourrait-il qu’un pli ait alors été pris dont ne se serait guère départie notre moderne sexualité ? Que sous couvert d’un sens tenu de nos jours pour précis continue de courir une somme millénaire de préjugés ?
Mark D. Jordan est professeur de théologie aux États-Unis, où il a publié de nombreux ouvrages, entre autres : Ordering Wisdom : The Hierarchy of Philosophical Discourses in Aquinas. Il a également coédité Ad Literam ; Authoritative Texts and Their Medieval Readers.