Vernon Rosario : L'irrésistible ascension du pervers - Entre littérature et psychiatrie
On commence à le savoir : le « pervers » est une invention récente. Il n’apparaît comme tel que dans les tensions sociales issues du Second Empire, de la Commune et des sombres débuts de la IIIe République. La masturbation, ce « confort fatal », était certes tenue pour un fléau depuis le Rousseau des Confessions, et les pédérastes, infâmes, bougres, bardaches et autres « chevaliers de la Manchette » hantaient depuis longtemps les rapports de police. Seule pourtant la psychiatrie parvint à réunir ces traits épars pour en faire surgir un personnage nouveau : le pervers fin-de-siècle.
Elle le put grâce à l’inverti : « âme féminine dans un corps d’homme », ou homme viril aimant un autre homme non moins viril ? Désormais, les témoignages se disputent le terrain : les médecins (Charcot, Magnan, Lasègue, Laupts, Legrand du Saulle, Morel, Sérieux, Tardieu) écrivent leurs récits de cas comme des romanciers ; les romanciers (Huysmans, Zola, Flaubert, Dubarry) s’alimentent aux comptes-rendus des revues médicales ; les sexologues font leur apparition, et les invertis eux-mêmes publient des confessions plutôt « hard ». L’armée des fétichistes vient enfin prêter main-forte à toutes ces conduites sexuelles, où transparaît une « imagination érotique » propre à effrayer une société hantée par l’idée de sa décadence.
Rosario entraîne son lecteur dans une vertigineuse efflorescence de pathologies hautes en couleurs, au regard de laquelle seule la sexualité conjugale et reproductrice survit comme norme. Son érudition montre, textes à l’appui, sur quel mycélium psychiatrico-littéraire a fleuri la première figure moderne du « pervers ».