Elisabeth Ladenson : Proust lesbien
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Guy Le Gaufey, avant-propos d'Antoine Compagnon. Novembre 2004, 160 p.
Les petits malins, qui préfèrent lire le dessous des cartes en pensant que la vérité y est plus à son aise, se sont complus à reconnaître en Albertine… Albert. Jusqu’à échafauder une théorie dite « de la transposition » selon laquelle l’ensemble de l’œuvre proustien n’affiche son lesbianisme que pour mieux parler, à couvert, de l’homosexualité masculine de son auteur (si peu cachée, au demeurant). Elisabeth Ladenson prend ici le parti de montrer l’inconsistance et la grossièreté de cette thèse : la jalousie sans fin du narrateur pour Albertine, ses sentiments troubles pour Andrée, l’odyssée de Mlle Vinteuil et de son amie, la passion que la mère et la grand-mère du narrateur entretiennent pour les Lettres de Mme de Sévigné, la surprise insondable du baron Charlus devant la nature « lesbienne » de son amant Morel, autant d’aspérités du texte écrasées par la théorie de la transposition, auxquelles Elisabeth Ladenson redonne un relief saisissant. Gomorrhe n’est plus, sous sa plume, le symétrique de Sodome, mais une construction littéraire destinée à laisser deviner l’existence de ce que le narrateur toujours échoue à dire, à montrer : le plaisir lesbien. Et donc « ce que font les femmes entre elles », du simple fait d’excéder les capacités sexuelles et narratives de celui qui « longtemps s’est couché de bonne heure », s’offre comme l’objet d’une quête… toute littéraire. Si Proust, de son vivant, ne fut guère lesbien (on le sait dans le détail désormais), son narrateur reste pris dans les rets textuels de Gomorrhe et d’une sexualité que la bipolarité des genres échoue à classer.